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Rôle de l’expertise scientifique indépendante dans le cadre d’un contentieux visant le CIR

Les arrêts mentionnant le recours de la société appelante à une expertise scientifique indépendante, en phase contentieuse, même si la démarche n’est pas nouvelle (CAA de LYON, 5ème chambre, 03/03/2016, 15LY01356), sont de plus en plus courants (CAA de TOULOUSE, 1ère chambre, 25/05/2022, 20TL03341, CAA de TOULOUSE, 1ère chambre, 25/05/2022, 21TL04529, CAA de NANCY, 2ème chambre, 28/04/2022, 20NC00485, CAA de PARIS, 7ème chambre, 23/03/2022, 21PA00640).

Au cours d’un contrôle du CIR, dans le cadre d’une vérification de comptabilité, le contrôleur peut s’appuyer sur un expert externe en faisant appel aux services du Ministère chargé de la Recherche (ou de ses antennes locales). Selon les articles Article 49 septies N de l’annexe III du CGI, L45 B et R45 B-1 du LPF : « La réalité de l’affectation à la recherche des dépenses prises en compte … peut, sans préjudice des pouvoirs de contrôle de l’administration des impôts qui demeure seule compétente pour l’application des procédures de rectification, être vérifiée par les agents du ministère chargé de la recherche et de la technologie. ». On peut également lire : « L’intervention des agents du ministère chargé de la recherche peut résulter soit d’une initiative de ce ministère, soit d’une demande de l’administration des impôts dans le cadre d’un contrôle ou d’un contentieux fiscal. ». L’administration fiscale est seule habilité pour imposer des redressements, et l’avis de l’expert du Ministère de la Recherche n’est que consultatif. Dans les faits, on peut avancer que les avis des experts scientifiques mandatés pour les contrôles scientifiques des CIR sont quasiment toujours suivis par le vérificateur fiscal. Le nombre d’expertises mandatées sur un même dossier, en phase pré-judiciaire, peut aller jusqu’à trois (CAA de PARIS, 9ème chambre, 16/08/2022, 21PA01489). Certains autres contribuables ne bénéficient d’aucune expertise, l’administration émettant indépendamment son avis sur l’éligibilité (CAA de VERSAILLES, 3ème chambre, 24/02/2022, 20VE00230).

On observe les critiques suivantes relevées par l’administration et/ou la juridiction à propos des expertises scientifiques mandatées par les appelants-contribuables dans les arrêts cités :

  • Un rapport d’expertise est d’autant plus convaincant qu’il a été mené hors période contentieuse ;
  • Les arguments d’une expertise scientifique indépendante doivent conclure de manière non équivoque à la fois sur l’éligibilité des projets mais également sur l’atteinte des cinq critères rédhibitoires d’éligibilité que sont la nouveauté, la créativité, la présence d’incertitudes, la systématicité, la reproductibilité (CAA de TOULOUSE, 1ère chambre, 25/05/2022, 21TL04529) ;
  • Une expertise doit confirmer la présence d’une analyse pertinente de l’état de l’art (CAA de NANCY, 2ème chambre, 28/04/2022, 20NC00485) et attester l’existence de verrous (CAA de PARIS, 7ème chambre, 23/03/2022, 21PA00640).

Les juridictions de premier et second ordres ne sont pas tenues de prendre en compte ces expertises scientifiques indépendantes, même si leur présence peut déclencher une nouvelle expertise. Il semble acquis qu’une expertise scientifique indépendante est d’autant mieux perçue lorsqu’elle est menée à la suite du montage du dossier justificatif scientifique et non après l’émergence d’un contentieux sur l’éligibilité. Celle-ci doit clairement montrer le positionnement de l’expert mandaté sur :

  • L’analyse de l’état de l’art et la présence de lacune ;
  • La présence d’incertitude(s) et de verrou(s) ;
  • Les caractères expérimentaux et risqués des travaux ;
  • Les avancées dans les connaissances ;
  • L’atteinte des cinq critères d’éligibilité.

Dans l’idéal, l’expert doit être issu de la recherche académique (Professeur d’Université, Directeur de Recherche dans un EPST tels que le CNRS, l’INRAE, l’INSERM ou EPIC tel que le CEA) et maîtriser les particularités du domaine d’activités du déclarant.

Un dossier justificatif expertisé positivement peut rassurer le déclarant, son conseil et éventuellement l’administration de rattachement, démontrant, en dehors d’une période de contrôle, l’adéquation des activités avec les exigences du CIR.

Cette photographie jurisprudentielle ne dit pas combien de sociétés déclarantes ont pu faire valoir une expertise scientifique indépendante dans les premières étapes d’un contrôle. Dans un contexte où deux tiers des contentieux en 2022 arrivant devant les Cours Administratives d’Appel, sont nés d’une inéligibilité scientifique, nul doute que le recours aux expertises scientifiques devrait perdurer et s’amplifier.